En 2008, je suis partie pour me rendre au Canada comme étudiante internationale et, étant étudiante américaine, j’avais l’avantage de pouvoir demander un permis d’études en personne à l’aéroport. Je suis arrivée avec ma lettre d’admission indiquant l’enseignement et mon poste d’assistante de recherche comme preuve de fonds. Il n’y avait qu’un problème : les fonds étaient « conditionnels à l’inscription », une phrase que l’agente d’immigration en face de moi n’aimait pas. Sans preuve d’inscription, ajouta-t-elle, je n’avais par de preuve de fonds fiable. Elle envisageait de refuser mon permis.
Maintenant que je suis conseillère d’étudiants internationaux, je comprends son raisonnement, mais à l’époque, j’étais stupéfaite. Beaucoup de privilèges intrinsèques (le fait d’être blanche et anglophone) m’ont donné pendant toute ma vie des avantages dont je n’avais pas conscience, et malgré les années que j’avais passées à voyager à l’étranger, je n’avais encore jamais connu de moment où mon passeport américain n’était pas accepté inconditionnellement.
Si vous leviez les yeux au ciel au vue de ma naïveté, je comprendrais parfaitement. Étant donné l’ampleur des circonstances étudiantes, la frustration d’étudiants ingrats aux prises avec des « problèmes » relativement mineurs ne figure pas souvent en haut de la liste de priorités des conseillers. Mais je vous raconte cette histoire pour dire que reconnaître par soi-même le pouvoir des frontières constitue souvent une nouvelle expérience d’influence possible pour de nombreux étudiants internationaux tout aussi privilégiés qui font des études au Canada.
Ce n’est pas que le Canada n’est pas chaleureux envers les étudiants internationaux, mais l’expérience des étudiants n’est jamais la même d’un étudiant à l’autre. J’ai finalement été admise, après un avertissement ferme, quelques pleurs et un permis d’études court (prolongeable), et j’ai pu profiter d’un financement généreux, d’une excellente instruction et, en fin de compte, de la résidence permanente. J’apprécie l’ouverture relative du Canada au sujet de plus en plus controversé de la migration mondiale et suis l’appel du ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, John McCallum à ce que le Canada « relève [son] jeu » et soit « plus accueillant pour les étudiants étrangers » avec un optimisme (prudent).
En revanche, le Canada est sans conteste entremêlé aux systèmes mondiaux d’hégémonie et d’exclusion et les gouvernements ont de la difficulté à gérer leurs économies. Les étudiants internationaux (même ceux qui ne connaissaient pas bien les obstacles) pourraient, pour la première fois, devoir refuser des perspectives d’emploi pendant leurs études au Canada. Les délais de traitement des visas peuvent interrompre les projets de voyage. La résidence permanente peut rester hors d’atteinte. C’est dans ces moments que les questions inattendues peuvent survenir : les étudiants essayent de s’y retrouver dans tous les messages contradictoires qui circulent sur les campus, dans les villes et dans les médias. Suis-je une bénédiction pour le secteur de la recherche ou de la concurrence excessive? Est-ce que je contribue au multiculturalisme ou suis-je une menace au nationalisme? Suis-je le bienvenu pour qui je suis ou pour mes frais de scolarité? Ce peut être un espace inconfortable et mêlant dans lequel exister, qui met à l’essai notre résilience tout en exigeant le travail émotionnel de croissance personnelle. Certains s’en sortent bien. D’autres n’ont pas la confiance ou la motivation pour se plonger dans l’introspection et la réflexion.
En tant qu’éducateurs internationaux, nous avons l’occasion de veiller à ce que tous les étudiants s’appuient sur leur reconnaissance des privilèges (ceux dont ils bénéficient et ceux dont ils ne jouissent pas) pour travailler à avoir une transformation. Quand nous donnons des conseils sur la politique d’immigration, nous donnons des conseils sur les enjeux complexes de colonialisme et de répartition des pouvoirs. Nous devons aider les étudiants à accepter leur place dans un monde complexe et injuste, et ensuite, s’ils sont prêts, les guider à plonger plus profond, à accepter les complexités et à continuer à poser des questions.
Il n’y a pas de réponse facile. La difficulté pour notre profession consiste à le faire de façon qui ne soit pas oppressive et sans répéter nos erreurs passées. Dans notre cheminement vers cet objectif, nous devons nous aussi faire le travail émotionnel de tirer de la compassion de nos expériences personnelles, introspections et réflexions.
Lisa est conseillère auprès d’étudiants internationaux (consultante réglementée en immigration canadienne) et étudiante de doctorat en études éducatives à la University of British Columbia. Lisa travaillait auparavant dans différents travaux de recherche sur l’immigration, à la conception des cursus et dans des projets d’enseignement avec la Bilkent University, le Cultural Orientation Resource Center, au Center for Applied Linguistics, à la Immigrant Services Society of BC et à la Simon Fraser University.
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