par Sonja Knutson
La responsabilité incombant aux universités canadiennes d’appuyer la liberté universitaire ne s’est peut-être jamais fait ressentir aussi fortement qu’à l’époque actuelle de la pandémie de COVID-19. Le nouvel environnement d’apprentissage à distance a eu pour effet de sortir notre enseignement de l’intimité relative des salles de classe situées au Canada pour l’amener vers des espaces de bureau de fortune situés dans les foyers du monde entier, soit les cuisines et espaces de vie de nos étudiant.e.s et de leurs familles. Que signifie ce changement pour nos valeurs de liberté universitaire et comment pouvons-nous aider les étudiant.e.s du monde entier à composer avec du contenu de cours qui peut être illégal ou tabou dans leur pays ou dans leur maison?
Récemment, plusieurs collègues aux vues similaires de partout au Canada se sont réuni.e.s pour discuter des préoccupations émergentes parmi les étudiant.e.s qui étudient à distance depuis leur pays d’origine. Ces préoccupations sont liées aux sensibilités géopolitiques, à la surveillance du contenu et aux sujets illégaux ou tabous qui peuvent surgir lors des discussions de classe menées sur les plateformes d’apprentissage virtuel. La conversation n’a pas porté sur les problèmes ou les solutions liés à la technologie, mais consistait plutôt en un échange sur les expériences entre les membres du corps professoral et de l’administration présents.
Les thèmes qui sont ressortis de la discussion sont les suivants :
1. Portée du problème
Les participant.e.s ont fait remarquer que la préoccupation ne concerne pas uniquement les universités canadiennes, mais que la portée des questions de l’apprentissage à distance et de la liberté universitaire dépasse les frontières. Aux quatre coins de la planète, les universités communiquent ouvertement et font état de leurs préoccupations au sujet de leurs étudiant.e.s qui sont toujours bloqué.e.s dans leur pays et incapables de se rendre à leur université de destination.
2. Directives émises par la haute direction
Certains établissements ont envoyé des directives au corps professoral pour qu’il envisage des mesures d’adaptation pour les étudiant.e.s qui, en raison de leur emplacement physique, pourraient ne pas être en mesure de participer aux conversations portant sur certains contenus. Certaines traquent également le contenu de cours potentiellement controversé. En outre, il a été noté que l’attention des médias nationaux était considérable, mais tendait à se concentrer uniquement sur les enjeux géopolitiques et non sur d’autres sujets comme la liberté universitaire.
Dans l’ensemble, les participant.e.s avaient le sentiment que les responsables devaient en faire plus pour institutionnaliser la protection des étudiant.e.s à l’étranger contre les menaces à la liberté universitaire et appuyer des conversations continues élargies.
3. Processus visant à soulever la question auprès du corps professoral
Dans bien des cas, c’est au sein des départements que le processus visant à soulever la question auprès des professeur.e.s a été mis en place. Les établissements sensibilisent le corps professoral à cette question de nombreuses façons, notamment grâce à des réunions virtuelles organisées par les bureaux des études supérieures et de l’enseignement et de l’apprentissage, des webinaires offerts aux instructeur.trice.s, des conversations tenues au sein des départements et des conversations individuelles entre les membres du corps professoral.
Parmi les questions soulevées, on trouve également celle de la sécurité des déplacements futurs des professeur.e.s qui discutent ouvertement sur des plateformes virtuelles de sujets controversés dans certains pays.
4. Comment les professeur.e.s abordent les enjeux en classe
On a fait remarquer que, dans la culture universitaire, nous encourageons les conversations franches et ouvertes, mais que notre capacité à épauler les étudiant.e.s vulnérables est à présent compromise. De nombreuses universités n’avaient jamais pensé auparavant à quel point un environnement de classe en personne était protégé, et nous avons eu tendance à utiliser ce même paradigme de confidentialité (et de sécurité) lors du passage aux plateformes virtuelles.
Même lorsque les professeur.e.s abordent clairement les questions de risque, il est problématique d’imposer aux étudiant.e.s le fardeau de déclarer eux/elles-mêmes le risque encouru. Il est conseillé aux instructeur.trice.s de tenir compte du fait que ce ne sont pas tou.te.s les étudiant.e.s qui répondront aux demandes visant à les informer s’ils/elles courent des risques. Certains professeur.e.s ont fait appel à des étudiant.e.s pour faire des recherches sur ce sujet et faire part de leurs résultats avec la classe.
Les participant.e.s à la discussion ont également transmis, en tant que ressources pédagogiques, de l’information sur les programmes de cours ainsi que des vidéos du réseau Scholars at Risk sur la liberté universitaire. Quelques suggestions pratiques ont été formulées, par exemple le fait de prendre des captures d’écran pour les montrer à l’écran plutôt que de fournir des documents à télécharger et ainsi éviter de partager des documents virtuellement.
5. Mesures de soutien et d’adaptation pour les étudiant.e.s
Certains établissements ont demandé l’avis de leurs étudiant.e.s, par exemple en invitant ceux et celles des cycles supérieurs à parler de leurs expériences. Certains membres du corps professoral se sont directement adressés à leurs étudiant.e.s, utilisant souvent la discussion initiale du programme comme point de départ pour aborder le large éventail de sujets possibles qui pourraient se présenter. Ils ont par ailleurs ouvert des conversations avec les étudiant.e.s pour leur faire comprendre que le fait d’aborder ces sujets pourrait présenter un risque.
Les participant.e.s ont exploré la question de savoir « ce qu’il se passe si » un.e instructeur.trice n’est pas disposé.e à offrir des mesures d’adaptation pour du contenu controversé, et ont suggéré dans ce cas de faire appel au bureau des droits de la personne de l’université ou à une entité semblable au sein de l’établissement.
On s’inquiète du fait qu’il pourrait incomber à l’étudiant.e d’atténuer lui/elle-même les risques qu’il/elle encourt. Plusieurs professeur.e.s craignent que les jeunes de leurs classes n’assimilent pas ou ne comprennent pas l’ampleur du risque et ne le prennent pas au sérieux. Le groupe s’est demandé si les professeur.e.s ressentent davantage les risques que les étudiant.e.s, et s’il est difficile d’équilibrer notre sentiment de risque avec celui ressenti par les étudiant.e.s. La question de savoir si les établissements devraient participer plus systématiquement à la protection des étudiant.e.s qui pourraient courir des risques en offrant des lignes directrices plus rigoureuses a été soulevée.
6. Sujets de préoccupation particuliers
Le sujet des études LGBTQ2S a été soulevé comme étant l’un des plus épineux à aborder, les discussions en classe pouvant mettre en danger les étudiant.e.s qui étudient depuis leur domicile, tant au Canada qu’à l’étranger. Les universités ont travaillé fort pour créer des espaces sécuritaires sur les campus, mais les espaces privés à domicile n’offrent pas nécessairement la même sécurité.
La question de la surveillance a également été abordée – non seulement la surveillance avec un « S » majuscule, celle liée aux questions géopolitiques et à la surveillance gouvernementale du contenu et des discussions en classe – mais aussi celle relative à la vulnérabilité des étudiant.e.s face à ceux/celles qui les dénoncent, qui consignent ce qu’ils/elles disent ou qui prennent des captures d’écran.
7. Alliance sur la liberté universitaire entre les membres du corps professoral et les étudiant.e.s
Les membres du corps professoral ont discuté de la gestion de leur colère face à ces nouvelles menaces à la liberté universitaire, se demandant comment équilibrer tout cela sans avoir recours à l’autocensure et sans imposer l’autocensure aux étudiant.e.s pour les protéger. On ne saurait trop insister sur l’importance de faire la démonstration sans cesse aussi bien publiquement que dans les salles de classe de la préservation de la liberté universitaire.
Certains membres du corps professoral ont fait remarquer que, lors des discussions sur les programmes de cours et les risques connexes, les étudiant.e.s canadien.ne.s semblaient ne pas porter attention à la question. Ils ont fait remarquer à tou.te.s les étudiant.e.s que, même si bon nombre d’entre eux/elles jouissent aujourd’hui d’une liberté universitaire, il est de leur responsabilité commune de veiller au maintien de cette valeur.
En résumé, la pandémie de COVID-19 a changé la façon dont les étudiant.e.s et les professeur.e.s interagissent avec le contenu des cours et celle dont nous comprenons notre rôle dans l’encouragement et la protection de la liberté universitaire. Même si aucun d’entre nous ne possède d’expertise quant à cette nouvelle normalité, le fait de mener des conversations avec des intervenant.e.s sur le campus et des collègues de confiance partout au pays nous a aidé.e.s à saisir certains thèmes qui se dégagent. Nous continuons de surveiller et d’appuyer nos établissements à cet égard.
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